Avec la Can c’est la relance des paris sportifs en ligne au Sénégal

Alors que la loterie nationale a lancé sa propre plateforme lors de la Coupe d’Afrique des nations, la multiplication des offres suscite l’engouement mais aussi des problèmes d’addiction.

Pendant un an, Eli Manel Ndiaye avait réussi à s’empêcher de fréquenter les sites de paris sportifs. Il gardait en mémoire le souvenir cuisant de ces 600 000 francs CFA (915 euros) misés dans l’espoir de se payer un voyage en Europe – et perdus. « Mais avec la Coupe d’Afrique des nations [CAN], j’ai recommencé à parier », témoigne ce vendeur de smartphones de Dakar. L’occasion semblait trop belle alors que la compétition s’est conclue au Cameroun, dimanche 6 février, sur une victoire du Sénégal. Au risque de renouer avec une forme d’addiction ?

Celle-ci peut avoir des conséquences dramatiques. « Le jeu m’a tout fait faire. Des vols à l’arraché qui m’ont valu un séjour de six mois en prison, des nuits dans la rue et j’en passe… », raconte Lamine Lô, accro depuis quatre ans. A 22 ans, le Dakarois est sans emploi mais se dit prêt à tout accepter pour pouvoir miser. « J’ai allumé ma première cigarette après avoir perdu aux jeux et j’ai fait pleurer ma mère à cause de mes agissements. Chaque jour je décide d’arrêter, mais c’est plus fort que moi », poursuit-il.

L’accès aux sites, un jeu d’enfant
Au Sénégal, depuis le lancement des paris en ligne en 2018, la ferveur a gagné les joueurs. Les sites se sont multipliés et ne cessent de gagner de nouveaux adeptes. La Loterie nationale sénégalaise (Lonase), qui s’occupe de la régulation des jeux de hasard et octroyait jusqu’alors des licences à des bookmakers, a lancé sa propre plateforme à l’occasion de la CAN 2022 pour tirer profit d’un marché qui ne cesse de grossir. Selon les données de l’entreprise parapublique, le chiffre d’affaires serait en hausse de 50 % chaque année. Rien que pour les paris sur le football, 50 milliards de francs CFA ont été misés en 2021 (environ 76,2 millions d’euros), dont 40 milliards ont été reversés aux gagnants.

La conséquence de cet engouement ? Un risque accru de dépendance. Dès les prémices pourtant, la Lonase s’est rapprochée du Centre de prise en charge intégrée des addictions de Dakar (Cepiad). « Mais depuis nos enquêtes en 2018 et 2019, rien n’a été fait de façon concrète », déplore Idrissa Ba, psychiatre addictologue et coordinateur du Cepiad : « Plus de 50 % des joueurs interrogés présentaient une addiction sévère aux jeux, avec parfois une dépression. De plus en plus, nous recevons des demandes de prises en charge, surtout d’élèves. Le risque augmente avec Internet. » Le Cepiad préconise de sensibiliser davantage le public à travers des campagnes de communication et, surtout, d’appliquer un contrôle strict de l’interdiction aux mineurs.

Du côté de la Lonase, on affirme être déterminé à vouloir contrer le phénomène. « Si les recommandations du Cepiad n’ont pu être appliquées, c’est à cause de la pandémie de Covid-19 », se justifie Mamadou Guèye, son secrétaire général. Pour l’heure, la loterie nationale a mis en place un standard téléphonique pour écouter les victimes, et le régulateur étudie la possibilité de plafonner les mises quotidiennes. Enfin, la présentation d’une pièce d’identité est obligatoire au niveau des kiosques de jeu. L’accès aux plateformes en ligne, en revanche, est un jeu d’enfant. Après avoir renseigné son numéro de téléphone, il suffit de certifier être majeur en cochant une case. « Mais pour recevoir les gains, les mineurs seront bloqués car on peut les identifier à travers leur numéro de téléphone », affirme-t-on à la Lonase.

L’islam proscrit les jeux d’argent
Au ministère de la jeunesse, on assure vouloir tout mettre en œuvre pour dissuader les plus jeunes de fréquenter les sites de paris en ligne. « Nous voulons développer un plaidoyer et interdire la publicité des jeux », détaille Mor Khoudia Ndiaye, son secrétaire général. Tandis qu’aujourd’hui, des stars du ballon rond font la promotion des paris sportifs, d’autres célébrités pourraient être sollicitées pour évoquer publiquement les effets néfastes et faire ainsi contrepoids. Dans les mois à venir, un programme d’éducation à la citoyenneté devrait être lancé, avec un volet consacré à la sensibilisation sur les risques des jeux de hasard.

En attendant, rien ne semble contrecarrer l’essor des paris sportifs dans un pays où l’islam, qui proscrit les jeux d’argent, est pourtant ultradominant. Un succès qui tient beaucoup à la multiplication des sites en ligne, qui permettent d’atteindre de nouveaux joueurs, alors que se rendre dans un kiosque de jeux est généralement mal vu. « Certains peuvent fuir les interdits sociaux et religieux en pariant de chez eux », décrit Eric Assoun, directeur général de Premier Bet, leader des paris sportifs au Sénégal : « Nous touchons également par ce biais une classe plus aisée. » Parmi celle-ci, l’homme d’affaires Djibril Diouf, un mordu de paris en ligne, qui déplore pourtant avoir récemment perdu 1,4 million de francs CFA en une seule journée. « Parfois, reconnaît-il, je me dis que j’aurais dû investir ailleurs. »

◊ Texte – Par Salma Niasse Ba

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