Au Sénégal, briser le tabou du viol peut coûter cher

Depuis qu’elle a accusé l’une des principales personnalités politiques du Sénégal de l’avoir violée, la jeune masseuse Adji Sarr a appris à ses dépens que briser le tabou des violences sexuelles pouvait coûter cher.

Des producteurs de télévision ont envisagé de lancer une série qui aurait porté le nom d’Adji Sarr et dont le personnage principal aurait été une prostituée, selon les avocats de la jeune femme.

Les producteurs ont fait marche arrière. Mais Adji Sarr se serait bien passée de la notoriété qui est la sienne depuis que le scandale a éclaté il y a trois mois.

En février, les médias révèlent qu’une employée d’un salon de beauté de Dakar, âgée d’une vingtaine d’années, porte plainte pour viols répétés et menaces de mort contre Ousmane Sonko, troisième de l’élection présidentielle en 2019 et pourfendeur du pouvoir à la forte popularité au sein de la jeunesse.

La détention du député de 46 ans pendant cinq jours en mars provoque des émeutes et pillages qui feront une douzaine de morts. Le président Macky Sall calme alors les esprits en levant les restrictions liées à la pandémie et en allouant des centaines de millions d’euros à l’aide à l’emploi des jeunes.

Et Adji Sarr dans tout ça ? Depuis trois mois, elle se terre, disant craindre pour sa sécurité. Les partisans d’Ousmane Sonko l’accusent d’être la complice d’un complot du pouvoir destiné à écarter leur candidat de la prochaine présidentielle.

Lors de son unique interview télévisée, la jeune femme maintient ses accusations et balaie la thèse du complot, réclamant juste que la justice « fasse son travail ».

Mais sa parole n’est pas entendue, dit le chroniqueur et essayiste Hamidou Anne. Le débat a été « biaisé par sa politisation », à l’instigation du pouvoir comme de l’opposition, dit-il. Adji Sarr a été « décrédibilisée » et « +invisibilisée+ car c’est une femme pauvre, une femme issue du petit peuple », dit-il.

– « Souffrir en silence » –
Au Sénégal, plus de 8% des femmes déclarent avoir subi des violences sexuelles, rapportait une enquête publique en 2017.

En 2019, le meurtre d’une jeune femme à Tambacounda (Est) à la suite d’une tentative de viol avait ému l’opinion, au point que le Parlement avait durci la loi, faisait du viol un crime, passible de la prison à perpétuité, et non plus un délit.

Malgré cela, « on entend beaucoup de personnes dire qu’ils s’en foutent si (M. Sonko) est un violeur », ou encore « qu’être un violeur ne définit pas une personne », constate avec amertume une jeune Sénégalaise, Aïssatou.

« On vit dans un pays où les femmes sont abusées tous les jours et où elles taisent leurs traumatismes. Beaucoup n’ont jamais eu de soutien et ne vont jamais en avoir, beaucoup souffrent en silence. Ces femmes sont vos mères, épouses, filles, nièces, cousines », dit-elle sur son compte Twitter.

La sociologue Selly Ba s’inquiète: « Les victimes vont se dire: +Si je raconte ce que j’ai enduré, ne vais-je pas subir le même sort qu’Adji Sarr ? Va-t-on me croire ?+ ».

Pour le sociologue Cheikh Niang, « il risque d’être désormais plus difficile pour une femme de porter plainte en cas de viol ou de violences sexuelles de la part d’un homme en position de pouvoir ».

Dans une société aux moeurs imprégnées par un islam conservateur, des associations féministes semblent mal à l’aise et plusieurs refusent de s’exprimer.

Françoise-Hélène Gaye, qui a pris la tête d’un rare collectif de soutien à Adji Sarr, ne compte plus les menaces. Mais elle dit aussi trouver de la force dans la parole de victimes qui se sont malgré tout adressées à elle.

Maïmouna Yade, une militante de longue date de la cause des femmes, souhaite que la procédure judiciaire débouche sur une solution « équitable pour les deux protagonistes », Ousmane Sonko et Adji Sarr.

« Les gens ont beaucoup fouillé dans la vie privée de la plaignante. La société civile doit suivre le déroulement de cette affaire de très près, c’est crucial pour l’avenir des droits des femmes dans notre pays », dit-elle.

 AFP 

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