AMINATA MBENGUE NDIAYE, Ministre de la Tabaski

Elle a en charge le département de l’Elevage depuis 2012, mais d’aucuns la prendrait pour le ministre de la Tabaski. Approvisionner le Sénégal en moutons est devenu une obsession pour Aminata Mbengue Ndiaye. Ouverte, affable et droite dans ses convictions, cette maîtresse d’économie familiale rurale est décrite comme une femme de terrain. La lionne du Ndiambour est aussi une dame de tempérament qui ne se prive pas d’un certain vocabulaire dans des situations particulières. Certains de ses collaborateurs la peignent comme une autorité qui prend les décisions toute seule et ne supporte pas la critique.

Depuis près de deux mois, elle n’a qu’un seul mot à la bouche : Mouton. On finirait même par se demander si  Aminata Mbengue Ndiaye n’est pas le ministre de la tabaski. Tout court ! Chaque année, à la veille de la deuxième fête musulmane, celle qui en charge le département de l’Elevage devient la plus visible de tous les membres du gouvernement. Mme le ministre se démène tellement qu’on se demande si cette obsession moutonnière ne perturbe pas son sommeil.  Depuis 2012 qu’elle est devenue la première femme nommée à ce poste, le rituel est toujours le même. Elle fait presque le tour du Sénégal, point de vente après point de vente. D’ailleurs, son grand frère Gaston Mbengue révèle qu’il y a deux ans, elle a été invité à la Mecque par le roi d’Arabie Saoudite, Salman Boun Abdoul Aziz, mais elle a décliné afin de s’occuper de l’approvisionnement correct en moutons.

Mais cette année, sa communication l’a totalement desservie et a créé une mini-panique dans tout le pays. Arrivée à Kahone, le socialiste constate  qu’il n’y a que 4 camions de petits ruminants sur place. Ce qui signifie qu’il y a un gap de 55 camions, comparé à l’année dernière, à la même période. Elle tire la sonnette d’alarme. ‘’Le déficit en moutons est lourd par rapport à l’année dernière, à Kahone’’, s’inquiète-t-elle. Une façon sans doute d’inviter les éleveurs à presser le pas. Mais la nouvelle eut un impact contraire à celui escompté. En effet, le constat local qu’elle a dressé a eu un écho national. L’information circule comme quoi l’offre n’est pas suffisante pour faire face à la demande. Depuis lors, elle est obligée de se rattraper jour après jour pour convaincre qu’il n’y aura pas de pénurie, en vain.

Outre la disponibilité, il y a aussi le coût. Mais sur ce point, elle n’y va pas du dos de la cuillère pour dire ses vérités. A ceux qui parlent de cherté des prix, la ministre rétorque qu’il faut savoir se contenter de la bête à la portée de sa bourse, au lieu de viser loin. ‘’Il arrive que quelqu’un m’appelle et me dise : je compte sur toi pour mon mouton de tabaski. Je lui réponds : Dieu t’a déchargé, puisque tu n’a pas de quoi acheter’’, déclare le ministre qui regrette le fait que les Sénégalais se fatiguent souvent pour rien.

Financer les voleurs de bétail

Il serait cependant réducteur de réduire son travail à la recherche de moutons en quantité suffisante pour la tabaski. Protection du bétail, production laitière, brassage génétique sont autant de chantiers qu’elle explore. Mais son véritable souci, pour ne pas dire casse-tête, reste pour le moment le vol de troupeau. Aminata Mbengue affirme elle-même que le vrai problème des éleveurs n’est pas l’aliment de bétail, mais plutôt le vol. De quoi faire une proposition surprenante. Il y a de cela quelques mois, l’ancienne mairesse de Louga s’est engagée à financer les voleurs, afin qu’ils trouvent une activité  leur procurant des revenus licites. ‘’Je suis sérieuse. Vous connaissez les voleurs, si vous me les amenez, je vais leur trouver un financement’’, insiste-t-elle à l’endroit d’un public à la fois incrédule et amusé.

Même si les résultats de ses efforts ne sont pas nécessairement visibles pour le moment, elle séduit déjà de par sa démarche. Abdoulaye Makhtar Diop son ancien camarade de parti est déjà satisfait. ‘’Elle est en train de réussir des choses extraordinaires. Regardez un peu quand elle sillonne le Sénégal du Nord au Sud. Le Nord, sous la chaleur, la poussière. Le Sud, sous la pluie, la boue. Le centre du Sénégal la côte. Si on ne peut pas saluer l’effort qu’elle fait, je me demande quel autre ministre mérite nos félicitations’’.

Une version qui tranche nettement avec celle de l’Association pour le développement des éleveurs du Sénégal (Adies). Celle-ci a réclamé sa tête au mois de juin dernier, l’accusant de ‘’vouloir politiser le secteur de l’élevage’’. Les camarades de Moussa Cheikh Samba Sow soutiennent que son action se limite à des visites de foirails et à importer des bœufs.

Sa nomination à ce département avait suscité quelque crainte de ses proches. Sa famille était surtout préoccupée par le fait que sa fille n’avait pas fait de l’élevage auparavant. Elle n’en était pas certes une experte. Mais une petite discussion  à l’interne aurait permis aux siens de se rappeler qu’elle a enseigné l’élevage à l’école des monitrices rurales de Thiès. Originaire de la zone silvo-pastorale, l’activité ne lui était pas non plus totalement étrangère. Sinon, elle aurait sans doute déclinée, comme elle l’a fait avec le ministère des Technologies de l’information et de la Communication. C’est en effet ce premier poste qui lui avait été proposé par le Premier ministre Abdoul Mbaye.

L’épisode de la camionnette

‘’Je lui ai dit que je ne m’y connais pas et je ne le sens pas. Même quand l’ordinateur est éteint, j’appelle les enfants pour qu’ils viennent la rallumer’’, sourit-elle. Les suggestions faites à elle de chercher des conseillers n’y changeront rien. Elle ne veut pas être conseillée sans être sûre de comprendre. ‘’Si on me donne des conseils alors que je ne comprends rien et qu’au final ce sont les conseillers qui prennent les décisions à ma place, je n’ai pas besoin d’être ministre’’, se démarque-t-elle. C’est ainsi qu’on lui a proposé l’élevage après concertation. Une nomination qui sera d’ailleurs contestée par des partisans de Khalifa Sall et Aïssata Tall Sall. La concernée avait estimé à l’époque que c’était un ‘’épiphénomène’’.

Contrairement à plusieurs autorités étatiques dont les actions se limitent à Dakar, Aminata Mbengue Ndiaye est de ce petit lot de ministres qui va à la rencontre de la population à l’intérieur du pays. C’est d’ailleurs là le point fort de l’enfant de Louga. La présidente des femmes du Parti socialiste n’est pas une intellectuelle de haut niveau, bardée de diplôme. Cette ancienne élève du lycée Ameth Fall de Saint Louis est plutôt une militante engagée. Sa cause est celle des femmes et du monde rural. Elle est en fait une maîtresse d’économie familiale rurale. Elle a été formée à l’Ecole nationale d’économie appliquée (Enea). Le terrain est donc son domaine de prédilection.

Elle en a vécu des expériences à l’image de la camionnette conduite de Ziguinchor à Koungheul au milieu de la nuit. En fait, l’ancienne patronne de la Division de la promotion de l’action en milieu rural a quitté Dakar un jour pour Ziguinchor. Une fois arrivée à la capitale du Sud, à 2 h du matin, on l’informe que son père a appelé : elle doit retourner à Dakar pour être reçue en audience par Abdou Diouf, le lendemain à 11h. Sachant qu’elle ne peut pas compter sur le chauffeur fatigué par le voyage, elle décide de se mettre au volant. Autre problème, il n’est pas possible de passer par le bac. Il faut donc prendre la route du Sud. ‘’C’est moi qui ai conduit jusqu’à Gouloumbou. Nous avons dépassé des gendarmes qui ont eu peur et qui ont fui, parce que j’avais un greffage touffu sur la tête. Une dame qui conduit un véhicule à 3h du matin… c’est à Koungheul que j’ai réveillé le chauffeur pour qu’il prenne le véhicule’’, raconte-t-elle à l’émission Face aux citoyens de la Rts diffusée en septembre 2015.

Cet amour du terrain, lui a valu aussi des résultats probants. La lionne du Ndiambour est à l’origine de la création de beaucoup de groupements et associations de femmes. Elle ‘’a monté, pièce par pièce, la Fédération nationale des Groupements de promotion féminine. (…) Elle a également dirigé pendant 4 ans, la Fédération des associations féminines du Sénégal (FAFS) dont le siège social porte aujourd’hui son nom’’, précise-t-on dans un profil qui lui est dressé sur le site du gouvernement.

Sportive pluridisciplinaire

Forte corpulence, débit rapide, ce proche d’Ousmane Tanor Dieng a un discours soutenu par une abondante gesticulation. Elle dégage de l’énergie et parle avec un accent tonique. A voir sa facilité de déplacement à l’occasion de ses tournées, on ne manque pas de se poser des questions sur son secret. Comment un poids lourd de cet acabit peut soutenir un rythme aussi soutenu ? La réponse est sans doute à chercher dans son passé. Aminata Mbengue Ndiaye est une sportive pluridisciplinaire dans les années 1960.

Championne du Sénégal et vice-championne d’Afrique du lancer poids, elle a aussi été de l’équipe nationale d’athlétisme et de celle africaine dans les années 70. Cette dame qui avait déjà pris du poids à l’époque a également participé aux jeux afro-latino-américains de Guadalajara, au Mexique en 1974, sous l’impulsion de l’ancien président de l’Iaaf, Lamine Diack. S’étant essayée au volleyball et en handball, elle a été pensionnaire de l’équipe nationale féminine de basket sénior. Ayant grandi sous la protection d’un père libéral, Aminata Mbengue Ndiaye n’est pas de la liste des enfants enfermés durant leur jeunesse. Pendant son enfance, elle a été ‘’terrible comme tous les enfants’’ (Gaston), avec la possibilité d’aller se divertir en plage ou en boites de nuit.

Entrée dans la Fonction publique en 1974, son premier poste fut celui de coordonnatrice des actions féminines au Service départemental du Secrétariat d’Etat à la Promotion humaine de Thiès. Elle découvre l’administration centrale en 1977 après être passée par le service départemental de Tivaouane. Pendant 20 ans, elle ne cesse de gravir les échelons dans son domaine de prédilection. Après la présidence de la République en 1990 comme conseillère technique en genre et questions féminines, son ascension est couronnée en 1995 par sa nomination à la tête du ministère de la Femme, de l’Enfance et de la Famille.

C’était aussi le moment pour elle de s’affirmer dans sa formation politique. Elle prend son envol dans la direction du parti socialiste après le congrès sans débat auquel elle a beaucoup participé à côté de l’actuel Grand Serigne de Dakar, de Khalifa Sall et d’autres. Ensemble, ils ont activement participé à la désignation de Tanor Dieng comme secrétaire général. Depuis, elle n’a jamais vacillé dans ses convictions politiques. ‘’Le Président Abdoulaye Wade m’a reçu dans son bureau et m’a demandé de la démarcher elle et Ousmane Tanor Dieng. Quand je suis venu lui en parler, elle ne m’a même pas écouté’’, soutient Gaston Mbengue.

Femme politique, la grande rivale de Moustapha Diop est aussi mère de famille. Si l’on en croit son frère Gaston Mbengue, Mme le ministre continue à s’occuper de la cuisine. Il lui reconnait aussi son attachement à la famille et son sens de la solidarité et de respect. ‘’Elle ne ferme sa porte à personne. Elle répond à tous les appels. Elle aime partager et aider. A la maison, ses enfants, ceux des autres et ses bonnes sont d’égale dignité’’, témoigne son grand frère. Une version à l’opposé de celle d’un proche collaborateur qui la décrie comme pingre et autoritaire. ‘’Elle partage le travail et les moyens qui y vont avec, mais jamais la décision et les résultats. Elle prend tout pour elle seule. Elle ne supporte pas la contradiction’’, souligne cette source.

Réfractaire à la critique

Aminata Mbengue Ndiaye est en effet une femme de tempérament.  Très réactive, elle est parfois extrêmement dure dans ses propos, contrairement aux apparences. ‘’Dans certaines circonstances, elle lance ses flèches’’, concède l’ancien ministre des Sports. Elle a d’ailleurs donné la preuve lors du dernier congrès du Ps en 2014. Présidente de la cérémonie, elle a insulté en directe par inadvertance, parce qu’énervée par les vendeurs d’eau et de cacahouètes qui circulaient dans la salle. Croyant que les micros étaient assez éloignés pour rendre ses propos inaudibles, elle a lâché le mot. Ce fut une erreur qui en dit long sur sa face cachée. Pleine de vie et de hargne, elle a tout d’une dame de fer.

C’est dans les années 80 avec l’arrivée de Diouf au pouvoir qu’elle a fait son entrée dans le parti. Elle était très proche de l’ancien Président. Sa nomination en tant que ministre de la Femme avait d’ailleurs surpris plus d’un à l’époque, même si d’aucuns pensent que c’est le résultat de son travail. Grâce à l’international socialiste, elle s’est tissé un réseau international, à côté de Jacques Baudin et Abdoulaye Makhtar Diop. Mine de rien, elle a des relations solides avec les Présidents en exercice en Guinée Alpha Condé et au Mali Ibrahim Boubacar Keïta. Il y a aussi les anciens chefs d’Etat ivoirien, Laurent Gbagbo et du Cap vert, Pédro Pires.

 Du volume, elle dégage, comme on dit. Elle a une expérience politique, une expérience administrative et une expérience du gouvernement. Ce qui fait dire à certains qu’elle peut occuper n’importe quel poste. Aujourd’hui qu’une bataille sans merci oppose son mentor Tanor Dieng à Khalifa Sall, une partie de son avenir politique est peut-être en train de se jouer. Car de l’issue de ce combat dépendra aussi l’avenir politique des têtes d’affiche des deux côtés.

 

© EnQuete+

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