17 décembre 1962, Senghor arrêtait Mamadou Dia, un personnage emblématique de l’histoire du Sénégal

Que retient-on de l’homme ? Qu’il a été le premier Chef du gouvernement du Sénégal indépendant, irréductible adversaire du masla ou la voix de la conscience du Sénégal. Il a été tout cela à la fois, même si sa vie et son histoire sont connues à travers ses désaccords avec le président Léopold Senghor. 

Nous vous proposons ici l’hommage organisé à Paris en 2010 à la mémoire de M. Dia

Mamadou Dia est un personnage emblématique de l’histoire du Sénégal. Ses idées ont aujourd’hui encore d’une étonnante résonance. Lorsqu’on demande à Amadou Moctar Mbow, qui fut ministre de la Culture sous Mamadou Dia, de raconter une anecdote sur l’homme, voici son récit : « Quand j’étais ministre de la culture, il y a eu des malversations financières dans mes services et certains ont voulu protéger le coupable. Mamadou Dia m’a appelé pour me demander d’être intransigeant jusqu’au bout et je l’ai été et il n’y a plus eu de malversations. Malheureusement, dans la gestion des affaires publiques, le Sénégal n’a pas continué dans cette voie ». Ce témoignage révèle une des nombreuses facettes du président Mamadou Dia : le refus du masla.

Cela l’a sans doute perdu. Son ascension puis sa chute brutale ont été, par ailleurs, le symbole de la longue marche vers la démocratie et l’émancipation économique de l’Afrique. Mamadou Dia est certes sénégalais, mais il n’appartient pas qu’au Sénégal. « Quel est le problème : c’est l’Afrique d’aujourd’hui et de demain, à partir des leçons laissées par les anciens », a exposé Moustapha Niasse lors de son allocution. Pour l’ancien premier ministre, « la voie de Mamadou Dia rencontre celle de Samory Touré, celle de Chaka Zoulou, celle d’Anne Zingha, reine d’Angola, celle de Behanzin, celle de Cheikh Ahmadou Bamba, celle de Cheikh Omar Foutiyou, et bien d’autres illustres personnages ». A ce titre, Moustapha Niasse, prend à témoin Roland Colin, ancien directeur de cabinet de Mamadou Dia, pour rappeler la réaction du président Houphouët Boigny apprenant l’arrestation du chef du gouvernement sénégalais : « On a arrêté le meilleur d’entre nous », avait dit le chef de l’Etat ivoirien.

L’improbable réhabilitation de Mamadou Dia
Lorsqu’il est arrêté le 17 décembre 1962 et mis en accusation, Mamadou Dia est jugé du 9 au 13 mai 1963 par la Haute Cour. Il est défendu par plusieurs avocats, dont l’ancien président de la République, Abdoulaye Wade. Il est condamné et emprisonné à Kédougou. De l’aveu de Roland Colin, jadis son directeur de cabinet, « Mamadou Dia préférait être libre en prison que prisonnier dehors ».

A sa libération 12 ans plus tard, Mamadou Dia n’a rien perdu de ses vertus sauf, peut-être, l’importance politique qu’il avait avant d’être incarcéré. N’a-t-il pas trouvé mieux en étant l’intellectuel et la figure morale qu’il a été ces 35 dernières années ?

La réponse est assurément oui. Pour s’en convaincre, il faut voir le film amateur réalisé par Babacar Sall. Il a eu la riche et généreuse idée de filmer un de ses nombreux entretiens avec Mamadou Dia au soir de sa vie. « Il faut pardonner, parce que Dieu est pardon et nous pardonne », disait Mamadou Dia dans le film projeté pendant la journée d’hommage. Sa conduite dans la procédure de réhabilitation est le symbole de ce pardon. « Dia n’a pas besoin d’être réhabilité. Il est propre et innocent. Il a toujours refusé de proférer des paroles blessantes envers le président Senghor », précise Moustapha Niasse. Il ajoute que « Dia a refusé de prendre part à l’ouverture du procès. Il a dit : Senghor est malade, je prie pour lui », rappelle Moustapha Niasse.

Mais si Mamadou Dia avait pardonné, « il n’avait pas pour autant renoncé à la vérité », précise Me Mbaye Dieng, l’un des cinq avocats du président Dia. Ils ont été convoqués par la Cour de cassation le 18 décembre 2001 pour la procédure de révision du procès. Les avocats ont dû demander un renvoi pour étudier le dossier, mais aussi parce que le président Mamadou Dia les avait reçus la veille et leur avait demandés d’attendre, parce le président Senghor était malade. Lors de l’audience du 15 janvier 2002, les avocats ont été surpris par la lecture par l’Avocat général d’une correspondance de la chambre criminelle de la Cour de cassation qui demandait la radiation de la procédure de révision.

« Nous avons alors décidé d’introduire un recours gracieux auprès du Garde des Sceaux. Au bout de quatre mois, nous n’avons pas reçu de réponse et ce silence est un rejet implicite », rappelle Me Dieng qui, avec ses collègues, décident de saisir le Conseil d’Etat. Cette institution s’était alors déclarée incompétente. Question : pourquoi le ministère de la justice a bloqué l’affaire alors que le président de la République souhaitait la révision du procès ? Pour Me Mbaye Dieng, « l’explication est politique ou personnelle, mais ne peut être juridique, parce que n’eut été l’incursion du Garde des Sceaux, la révision aurait eu lieu ». Aujourd’hui, les avocats envisagent de lancer une pétition pour demander la révision du procès de Mamadou Dia.

Réhabilité ou pas, « Dia était un grand homme », a conclu Moustapha Niasse. D’ailleurs, « pour gérer et fructifier son héritage », il a demandé à Babacar Sall, organisateur de la journée d’hommage, « de réfléchir à un colloque sur la vie et l’œuvre de Mamadou Dia, afin de mieux en cerner l’importance ». Il faudra en faire autant pour le président Senghor. En effet, selon Moustapha Niasse « Senghor et Dia ont cheminé ensemble de 1946 à 1962. Ils partageaient le socialisme africain et la même culture de l’Etat. Des événements politiques ont conduit à la rupture entre les deux hommes, mais des plages de convergences existent entre eux ».

L’hommage, c’était aussi le témoignage de la famille. Moment d’émotion que celui où Mme Oulimata Ba Dia a rappelé des souvenirs de la vie de l’homme et de son attachement à ses petites filles, « ces rivales redoutables ».

Son témoignage lui a valu des applaudissements nourris de toute la salle qui s’est levée pour lui manifester respect et déférence.
Une ombre au tableau ? Alors qu’ils étaient invités, l’ambassadeur du Sénégal en France et le Consul général à Paris n’ont pas jugé utile de prendre part à l’hommage rendu à Mamadou Dia, encore moins de se faire représenter. Au-delà de toute contrainte politique, l’intervention courte mais dense sur la foi du professeur Souleymane Bachir Diagne valait, à elle seule, le détour. Mais comme l’a rappelé Moustapha Niasse en parlant de Mamadou Dia : « La culture crée l’ouverture dans l’esprit des hommes ». Que dire alors de l’inculture ?

BOCAR ALPHA KANE (PARIS)

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