07 février 1986 – 07 février 2020 : 34 ans après, Cheikh Anta Diop l’immortel

Cheikh Anta Diop est né le 29 décembre 1923 dans le village de Caytou situé dans la région de Diourbel. Le savant est retourné au ciel le 7 février 1986 ; il repose, selon sa volonté, à Caytou, auprès de son grand-père (le Grand) Massamba Sassoum Diop, fondateur du village. L’auteur de Nations nègres et Culture – De l’antiquité nègre égyptienne aux problèmes culturels de l’Afrique noire d’aujourd’hui, ne mourra jamais.Cheikh Anta Diop

L’Afrique est sous la domination coloniale européenne qui a pris le relais de la traite négrière atlantique commencée au 16ème siècle. La violence dont l’Afrique est l’objet, n’est pas de nature exclusivement militaire, politique et économique. Théoriciens (Voltaire, Hume, Hegel, Gobineau, Lévy Bruhl, etc.) et institutions d’Europe (l’institut d’ethnologie de France créé en 1925 par L. Lévy Bruhl, par exemple), s’appliquent à légitimer au plan moral et philosophique l’infériorité intellectuelle décrétée du Nègre. La vision d’une Afrique anhistorique et atemporelle, dont les habitants, les Nègres, n’ont jamais été responsables, par définition, d’un seul fait de civilisation, s’impose désormais dans les écrits et s’ancre dans les consciences. L’Égypte est ainsi arbitrairement rattachée à l’Orient et au monde méditerranéen géographiquement, anthropologiquement, culturellement.

C’est donc dans un contexte singulièrement hostile et obscurantiste que Cheikh Anta Diop est conduit à remettre en cause, par une investigation scientifique méthodique, les fondements mêmes de la culture occidentale relatifs à la genèse de l’humanité et de la civilisation. La renaissance de l’Afrique, qui implique la restauration de la conscience historique, lui apparaît comme une tâche incontournable à laquelle il consacrera sa vie.

C’est ainsi qu’il s’attache, dès ses études secondaires à Dakar et St Louis du Sénégal, à se doter d’une formation pluridisciplinaire en sciences humaines et en sciences exactes, nourrie par des lectures extrêmement nombreuses et variées. S’il acquiert une remarquable maîtrise de la culture européenne, il n’en est pas moins profondément enraciné dans sa propre culture. Sa parfaite connaissance du wolof, sa langue maternelle, se révèlera être l’une des principales clés qui lui ouvrira les portes de la civilisation pharaonique. Par ailleurs, l’enseignement coranique le familiarise avec le monde arabo-musulman.

A partir des connaissances accumulées et assimilées sur les cultures africaine, arabo-musulmane et européenne, Cheikh Anta Diop élabore des contributions majeures dans différents domaines.

L’œuvre de Cheikh Anta Diop

La reconstitution scientifique du passé de l’Afrique et la restauration de la conscience historique

Au moment où Cheikh Anta Diop entreprend ses premières recherches historiques (années 40) l’Afrique noire ne constitue pas « un champ historique intelligible » pour reprendre une expression de l’historien britannique Arnold Toynbee. Il est symptomatique qu’encore au seuil des années 60, dans le numéro d’octobre 1959 du Courrier de l’UNESCO, l’historien anglo-saxon Basile Davidson introduise son propos sur la « Découverte de l’Afrique » par la question : « Le Noir est-t-il un homme sans passé ? »

Dans son ouvrage Cheikh Anta Diop, Volney et le Sphinx, Théophile Obenga montre en quoi consiste l’originalité et la nouveauté de la problématique historique africaine ouverte et développée par Cheikh Anta Diop :

« En refusant le schéma hégélien de la lecture de l’histoire humaine, Cheikh Anta Diop s’est par conséquent attelé à élaborer, pour la première fois en Afrique noire une intelligibilité capable de rendre compte de l’évolution des peuples noirs africains, dans le temps et dans l’espace […] Un ordre nouveau est né dans la compréhension du fait culturel et historique africain. Les différents peuples africains sont des peuples « historiques » avec leur État : l’Égypte, la Nubie, Ghana, Mali, Zimbabwe, Kongo, Bénin, etc. leur esprit, leur art, leur science.  » (pp. 27-28).

Nations nègres et Culture – De l’Antiquité nègre égyptienne aux problèmes culturels de l’Afrique d’aujourd’hui– que publie en 1954 Cheikh Anta Diop aux Éditions Présence Africaine créées par Alioune Diop est le livre fondateur d’une écriture scientifique de l’histoire africaine.

Les principales thématiques développées par Cheikh Anta Diop

Les thématiques présentes dans l’œuvre de Cheikh Anta Diop peuvent être regroupées en six grandes catégories :

a. L’origine de l’homme et ses migrations. Parmi les questions traitées : l’ancienneté de l’homme en Afrique, le processus de différentiation biologique de l’humanité, le processus de sémitisation, l’émergence des Berbères dans l’histoire, l’identification des grands courants migratoires et la formation des ethnies africaines.

b. La parenté Égypte ancienne/Afrique noire. Elle est étudiée selon les aspects suivants : le peuplement de la vallée du Nil, la genèse de la civilisation égypto-nubienne, la parenté linguistique, la parenté culturelle, les structures socio-politiques, etc.

c. La recherche sur l’évolution des sociétés. Plusieurs développements importants sont consacrés à la genèse des formes anciennes d’organisation sociale rencontrées dans les aires géographiques méridionale (Afrique) et septentrionale (Europe), à la naissance de l’État, à la formation et l’organisation des États africains après le déclin de l’Égypte, à la caractérisation des structures politiques et sociales africaines et européennes avant la période coloniale ainsi qu’à leur évolution respective, aux modes de production, aux conditions socio-historiques et culturelles qui ont présidé à la Renaissance européenne.

d. L’apport de l’Afrique à la civilisation. Cet apport est restitué dans de nombreux domaines : la métallurgie, l’écriture, les sciences (mathématiques, astronomie, médecine, …), les arts et l’architecture, les lettres, la philosophie, les religions révélées (judaïsme, christianisme, islam), etc.

e. Le développement économique, technique, industriel, scientifique, institutionnel, culturel de l’Afrique. Toutes les questions majeures que pose l’édification d’une Afrique moderne sont abordées : maîtrise des systèmes éducatif, civique et politique avec l’introduction et l’utilisation des langues nationales à tous les niveaux de la vie publique ; l’équipement énergétique du continent ; le développement de la recherche fondamentale ; la représentation des femmes dans les institutions politiques ; la sécurité ; la construction d’un État fédéral démocratique, etc. La création par Cheikh Anta Diop du laboratoire de datation par le radiocarbone qu’il dirige jusqu’à sa disparition est significative de toute l’importance accordée à « l’enracinement des sciences en Afrique ».

f. L’édification d’une civilisation planétaire. L’humanité doit rompre définitivement avec le racisme, les génocides et les différentes formes d’esclavage. La finalité est le triomphe de la civilisation sur la barbarie. Cheikh Anta Diop appelle de ses vœux l’avènement de l’ère qui verrait toutes les nations du monde se donner la main « pour bâtir la civilisation planétaire au lieu de sombrer dans la barbarie » (Civilisation ou Barbarie, 1981). L’aboutissement d’un tel projet suppose :

– la dénonciation de la falsification moderne de l’histoire : « La conscience de l’homme moderne ne peut progresser réellement que si elle est résolue à reconnaître explicitement les erreurs d’interprétations scientifiques, même dans le domaine très délicat de l’Histoire, à revenir sur les falsifications, à dénoncer les frustrations de patrimoines. Elle s’illusionne, en voulant asseoir ses constructions morales sur la plus monstrueuse falsification dont l’humanité ait jamais été coupable tout en demandant aux victimes d’oublier pour mieux aller de l’avant » (Cheikh Anta Diop, Antériorité des civilisations nègres – mythe ou vérité historique ?, Paris, Présence Africaine, p. 12).

– la réaffirmation de l’unité biologique de l’espèce humaine fondement d’une nouvelle éducation qui récuse toute inégalité et hiérarchisation raciales : « … Donc, le problème est de rééduquer notre perception de l’être humain, pour qu’elle se détache de l’apparence raciale et se polarise sur l’humain débarrassé de toutes coordonnées ethniques. » (Cheikh Anta Diop, « L’unité d’origine de l’espèce humaine », in Actes du colloque d’Athènes : Racisme science et pseudo-science, Paris, UNESCO, coll. Actuel, 1982, pp. 137-141).

Cheikh Anta Diop décède le 7 février 1986, à son domicile de Fann, quartier situé non loin de l’Université de Dakar qui aujourd’hui porte son nom. Il laisse inachevé un travail, publié aux Éditions Présence Africaine sous le titre Nouvelles recherches sur l’égyptien ancien et les langues négro-africaines modernes. Le 8 février 2008, le ministre de la Culture du Sénégal Mame Biram Diouf inaugure un mausolée perpétuant la mémoire du chercheur à Caytou, son village natal où il repose. Ce mausolée figure sur la liste des sites et monuments classés du Sénégal.

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