Olivier Hanne : « On craint des attentats d’envergure au Sénégal et au Cameroun »

DÉCRYPTAGE. Islamologue, Olivier Hanne vient de co-signer un essai, Jihâd au Sahel. Pour Le Point Afrique, il décortique les paramètres actuels de l’extrémisme religieux africain. 

À la croisée du militaire, de la géopolitique, du religieux et du culturel, Olivier Hanne scrute les conséquences de l’opération Barkhane sur les groupes terroristes qui ont transformé la bande sahélienne en un hub du djihad. Avec Guillaume Larabi, Saint-Cyrien et coopérant militaire, cet islamologie, également professeur agrégé, enseignant dans les Écoles militaires de Saint-Cyr-Coëtquidan, a donc publié Jihâd au Sahel*, un précieux essai pour bien comprendre toute une région qui traverse cinq pays (Mauritanie, Mali, Niger, Tchad, Soudan du Nord) et compte 66 millions d’habitants pour un territoire de 5 millions de kilomètres carrés (neuf fois la France). Une forte fécondité prévoit un triplement démographique d’ici 35 ans : 194 millions d’habitants en 2050. Le Sahel a connu des guerres tribales, des conflits. Mais désormais les djihadistes pullulent et multiplient les actes terroristes. Bamako en novembre, Ouagadougou en janvier. L’intervention française menée au Mali, à la demande de son président, perdure. L’opération Barkhane mobilise 2 500 hommes. Une certitude après cette lecture, Paul Bowles ne pourrait plus écrire un thé au Sahara.

Le Point Afrique : de quand date l’émergence du djihad au Sahel?

Olivier Hanne : Le phénomène remonte au XIXe siècle. Une vieille tradition sahélienne, le djihad des Peuls par exemple. Le phénomène s’est interrompu des années 1940 aux années 70. L’accession à l’indépendance a stoppé ce mouvement. Le retour du salafisme commence dans les années 70, pour prendre son essor dans les années 90. Dans les années 80-90, les États africains acceptent la venue des prédicateurs wahhabites. L’Union européenne proposait de l’aide, mais le conditionnait à des changements démocratiques. Le Qatar et surtout l’Arabie saoudite n’exigeaient rien de tel. Ils fournissaient alors un wahhabisme minimaliste en finançant des mosquées, du personnel… Cela a préparé les esprits. L’islam africain qui est cultivé a alors commencé à perdre en nuances. Les traditions africaines se sont brisées. Le processus fut d’une efficacité redoutable. Les pouvoirs en place jouent la carte politique de l’islam. On a pu voir récemment le président de la Gambie déclarer « un État islamique ». Dans les faits, ce n’est pas aussi simple. Mais le signal envoyé est détestable. Au Niger, on voit des jeunes filles prépubères voilées. Le Qatar envoie des infirmiers du Croissant-Rouge pour soigner les djihadistes.

Les groupes terroristes frappent au Mali, au Burkina Faso, au Tchad… D’autres pays sont-ils menacés?

Le Sénégal et le Cameroun. On craint des attentats d’envergure à Dakar et Yaoundé. Sous les coups de l’opération Barkhane, les djihadistes ont été obligés de descendre de mille kilomètres au sud. Burkina Faso, Gambie, Guinée… Il y a un mois, les grands contrebandiers se sont réunis. Ils en ont assez. La présence militaire est incompatible avec leur business. Sans l’accord des contrebandiers, les djihadistes ne pourront se maintenir. L’affaiblissement de la zone nord a provoqué leur course vers le sud. Ce qui écartèle Barkhane, 2 500 militaires pour couvrir une étendue qui fait neuf fois la superficie de la France.

Quid de l’intervention qui se prépare en Libye?

Elle se prépare mal. L’ONU a voulu installer un gouvernement d’union nationale. Qui a été refusé par ceux de Tripoli et Tobrouk. L’intervention nettoiera sans doute le rivage de Syrte où se concentre Daech. Dans le sud de la Libye, le « drônage » fonctionne et les forces spéciales américaines travaillent. Contrairement à l’idée dominante, je ne crois pas que ce soit le pétrole qui justifie cette action. L’Europe craint le flot de migrants et veut le bloquer. La stratégie politique s’avère sans substrat. On a vu en Irak ce que cela donne d’intervenir, de placer au pouvoir des gens reconnus par personne.

La France est-elle condamnée à assurer la sécurité dans cette région?

Elle avait deux terrains d’expertise : le Proche-Orient et le Sahara-Sahel. Les Américains nous ont remplacés au Proche-Orient. Il nous reste un canevas d’opérations assez efficace avec l’opération Barkhane. Ce n’est pas parfait, mais l’armée française travaille en coopération avec les armées locales, tout le monde collabore et apprend à se connaître. En moyenne, sur cinq pick-up de djihadistes, on en arrête deux. Il nous faut travailler en finesse, mais nous n’en avons pas les moyens. Le Nigeria et le Sénégal ne veulent pas d’une coopération. Le G5 Sahel est une bonne structure. Les forces françaises apprennent et réciproquement. Ce n’est pas le rôle de la France d’apporter la paix au Sahel.

Afrique.lepoint.fr 

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