Nécrologie : Décès du sculpteur Ousmane Sow

Le sculpteur Ousmane Sow, surnommé « l’Auguste Rodin du Sénégal », est mort ce jeudi 1er décembre, à Dakar, à l’âge de 81 ans. L’artiste dont la notoriété est devenue immense avait connu la consécration en 2013 lorsqu’il a été élu à l’unanimité à l’Académie des Beaux-Arts à Paris. Son rêve était d’ouvrir un musée au Sénégal rassemblant ses œuvres.

« Il y a dans mes sculptures une exagération. C’est voulu. C’est la recherche de la puissance et de la traduction de la vie. Ce qui m’intéresse c’est la vie. Que les gens ressentent cette sorte de flux qui passe entre les sculptures et eux. »

En lisant cette citation d’Ousmane Sow, on ne peut s’empêcher de penser qu’il y avait chez lui une lointaine parenté avec Pygmalion, le sculpteur de la mythologie grecque. Celui qui tomba amoureux de son œuvre, Galatée, au point qu’Aphrodite, émue, choisit de lui donner vie.

L’exagération dont parle Ousmane Sow est donc cette vie à laquelle son œuvre est un hommage constant. Les sculptures de celui que l’on a parfois comparé à Auguste Rodin sont imposantes, grandiloquentes, sensuelles. Les hommes, guerriers ou héros, ont la profondeur de leur esprit gravé sur leur corps. Leurs muscles prennent des dimensions improbables. Leurs pensées scarifient la chair de leur visage. La puissance évocatrice de ces sculptures ne vient pas de leurs dimensions, mais de la force de vie qu’elles recèlent en elles. Comme si Ousmane Sow, géant au sourire rayonnant, avait su insuffler un peu de sa propre vitalité dans ses créations.

Anatomie d’une vie

Ousmane Sow disait qu’il pouvait fermer les yeux et reproduire de tête, avec les doigts, chaque muscle du corps humain. Il est vrai qu’avant de pétrir la terre, il a d’abord pétri les corps durant la première partie de sa vie consacrée à la kinésithérapie. Un métier qui a, de toute évidence, contribué à développer son sens des formes et sa précision du geste. L’anatomie du corps humain, qu’il aurait voulu voir enseignée aux Beaux-Arts, est la matrice d’où il puisait son art.

Est-il devenu kinésithérapeute parce qu’il était sculpteur, ou le contraire ? Penchons pour la seconde hypothèse. Car ce Dakarois né en 1935 a très jeune développé un goût pour la sculpture. Selon sa biographie officielle, dès l’âge de dix ans, il taillait des figurines dans des blocs de pierre ramassés sur les plages de Rebeuss, son quartier de naissance. La sculpture est déjà son jardin secret, même s’il n’a guère l’occasion de s’y promener.

Un cargo à destination de la France

A la mort de son père, Ousmane Sow est âgé de 21 ans. Il s’embarque alors sur un cargo à destination de la France. Il tente l’aventure comme tant de jeunes Sénégalais que Paris fait rêver. Le jeune étudiant renonce pourtant à entrer à l’école des Beaux-Arts et se lance dans des études de kinésithérapie, « une profession de substitution » dira-t-il.

Cette profession va pourtant lui offrir une connaissance du corps humain qu’il emploie le soir lorsqu’il abandonne la blouse de praticien pour enfiler le tablier du sculpteur. Car de retour au Sénégal, Ousmane Sow s’est remis à la sculpture en amateur de plus en plus éclairé. De ces années, rien ou presque ne subsiste. Il ne s’est pas soucié de ses marionnettes articulées, de ses bustes ou de ses têtes, offrant certaines pièces, en égarant d’autres, sans se préoccuper de laisser une trace.

Mais il a mis à profit ces années d’apprentissage pour concevoir ce matériau avec lequel il sculptera par la suite ses guerriers monumentaux. Un mélange de sable, de paille, d’aliments, de terre et d’une vingtaine de produits macérés durant des années dont il a emporté le secret. Il a même utilisé cette matière – dont ses rêves sont faits – pour couvrir le sol de la maison qu’il a érigée à Dakar. Le sculpteur s’étonnait que le public et les critiques puissent autant s’intéresser à ce mystérieux matériau. Pour lui, l’essentiel était ailleurs. Non pas dans la matière, mais dans le projet.

Vocation précoce, reconnaissance tardive

Au tournant de la cinquantaine, la sculpture l’occupe de plus en plus. Il abandonne son travail et se consacre entièrement à son art. En 1987, son talent éclate au grand jour. Le grand public découvre au Centre culturel français de Dakar les statues de lutteurs Nouba qui le rendront célèbre dans le monde entier. L’idée lui en était venue quelques années auparavant alors qu’il découvrait les photographies de l’Allemande Leni Riefenstahl passionnée par l’esthétique corporelle de ce peuple sud-soudanais. En 1988, il présente la série Massaï. Trois ans plus tard, la série Zoulou et, en 1993, Peuls. La Documenta de Kassel en Allemagne, puis la Biennale de Venise le célèbrent comme l’un des artistes contemporains majeurs.

Le succès international s’ancre définitivement sur le Pont des Arts de Paris, en 1999, où il expose ses pièces et notamment La bataille de Little Bighorn, célébration de la résistance des Indiens d’Amérique et de la victoire de leurs chefs Sitting Bull et Crazy Horse face aux troupes du général Custer. Trente-cinq pièces où s’entremêlent la violence et la sensualité.

Ousmane Sow sur le Pont des Arts

Trois millions de personnes ont admiré à Paris les œuvres théâtrales d’Ousmane Sow. Au-delà de la prouesse artistique, c’est aussi le message qui fait mouche. Il a consacré dix ans à représenter David contre Goliath. Le faible contre le puissant. « J’aime souligner que les petits ont une chance contre l’asservissement », confie Ousmane Sow au quotidien français Le Monde.

Il consacre les années suivantes à représenter ceux qui l’ont aidé à se construire en tant qu’homme, ceux dont la vie est pour lui un antidote au désespoir. Son père d’abord, Moctar Sow, héritier d’une longue lignée saint-louisienne apparentée au héros légendaire Lat Dior, mais aussi Nelson Mandela, Victor Hugo, Martin Luther King, Toussaint Louverture, ou encore le général de Gaulle qu’il représente avec les poches plates et vides afin de souligner qu’il ne recherchait pas le pouvoir pour s’enrichir contrairement à certains dirigeants du continent, expliquera le sculpteur. Ousmane Sow a aussi délaissé partiellement sa glaise pour utiliser le bronze. À la fois pour magnifier ses œuvres et leur permettre de mieux voyager dans le monde.

RFI

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