Modou Diagne Fada, président Ldr-Yessal : « Il nous faut repenser aux 4 courants politiques de 1974 »

Le 7 mai dernier à Dakar, l’assemblée générale constitutive d’un nouveau parti politique, Les Démocrates et Réformateurs-Yessal, avait lieu sous la présidence de Modou Diagne Fada, marquant ainsi sa rupture avec le Pds d’où il avait été exclu le 16 octobre 2015 pour avoir demandé une refondation du parti et le renouvellement de ses instances. L’ancien ministre sous le régime libéral (Jeunesse, Environnement et Hygiène publique, Santé), revient dans cet entretien sur son vécu au Pds, les orientations de son nouveau parti, l’affaire Karim Wade, l’Acte 3 de la décentralisation et le dialogue national.

Qu’est-ce qui vous a poussé à créer un parti politique après 30 ans passés au Pds ?
Les Démocrates et Réformateurs « Yessal » constituent la nouvelle force politique du pays. Dès sa naissance, il a été porté par des hommes et des femmes des 45 départements du Sénégal qui partagent un idéal. Il a été porté par des jeunes, des cadres, des femmes, tous mus par la volonté de servir leur pays. Le jour de sa naissance, nous avions déjà dit qu’un taureau est entré dans l’enclos. C’est un parti d’obédience libérale et panafricain. Il est certes né des flancs du Pds, mais ses rangs sont également constitués de Sénégalais de tous bords qui nous ont rejoints. Il a comme symbole une calebasse remplie de maïs sur un fond bleu. Nous avons choisi la calebasse en raison de son caractère africain, si je puis dire, et le maïs pour rappeler l’abondance et dire que nous allons nous attaquer aux problèmes de l’agriculture. Nous sommes un parti réformateur car nous avons d’abord cherché à réformer l’organisation dans laquelle nous évoluions. Les textes fondamentaux du Pds datent de 1976. Le programme fondamental du Pds date de 1976. Et ses instances de base n’ont pas été renouvelées depuis plus de 20 ans. Malheureusement, nous n’avons pas pu aller jusqu’au bout parce que tout simplement nous n’avions pas été compris dans notre ancienne formation. Nous avions été traités de tous les noms d’oiseau, traînés dans la boue, calomniés. Parce que tout simplement, nous avions eu l’outrecuidance de poser un débat de fond.

Ce sont les choix de Me Wade que vous remettiez en question…
Encore une fois, le président Wade n’a plus rien à prouver sur le terrain politique. Il a accompli sa mission en tant que secrétaire général, fondateur du Pds ; aujourd’hui, il a 90 ans et a accompli sa mission pour le libéralisme en Afrique et comme chef de l’Etat avec un excellent bilan. Il n’a plus rien à prouver. C’est pour cela qu’en son temps, nous avions appelé de nos vœux un changement à la tête de la direction nationale du parti pour assurer la relève et permettre à la jeune génération de prendre les commandes du parti. Malheureusement, nous n’avons pas pu aller jusqu’au congrès pour lui arracher le récépissé. Il existe une très grande affection entre nous et le président Wade ; et on ne voulait pas aller jusqu’au bout d’une logique de confrontation avec quelqu’un qui a été notre référence. C’est pour cela que nous avons pris la sage décision de créer notre parti politique en ayant l’ambition de réformer la façon de faire la politique dans notre pays. De réformer la façon de s’opposer, de réformer la façon de gouverner. Et plus tard, de réformer l’Education, la Santé, les Institutions. Nous entendons être des réformateurs à l’esprit critique et dynamique qui tiendra toujours compte du contexte pour élaborer des propositions et contre-propositions. L’esprit « Yessal » doit être un esprit qui bouge, un esprit progressiste.

Après plus de 30 ans de militantisme au Pds, êtes-vous resté wadiste ?
Je suis un élève politique du président Wade. Je ne peux pas renier mon passé du jour au lendemain, avec mon vécu. Je suis resté wadiste parce que je suis panafricaniste. Je me suis toujours battu pour l’avènement de la démocratie dans mon pays, et je suis un libéral pur jus, ambitieux. J’ai effectivement des ambitions pour le Sénégal et pour l’Afrique. Voilà des qualités que je trouve essentielles pour qui veut se réclamer du wadisme.

Le Pds a déjà choisi son candidat à la présidentielle en la personne de Karim Wade. Comment appréhendez-vous l’élection de 2019 ?
Quand j’étais au Pds, j’ai accompagné le processus qui a fait de Karim Wade le candidat de ce parti à l’élection présidentielle. J’y étais favorable d’autant plus que Karim Wade a du talent. Il a montré à la face du Sénégal qu’il savait travailler, qu’il savait réaliser des infrastructures. Il a un carnet d’adresses sur l’international qui est bien fourni. Assez diversifié. En plus, il est la principale victime du régime en place. Par conséquent, il draine un fort courant de sympathie. Maintenant, j’ai été exclu du Pds. Je n’y suis plus. La donne a changé. Au sein de notre parti, le moment venu, nous allons discuter de la candidature à la présidentielle. Je ne peux plus dire aujourd’hui, je ne peux plus dire que Karim Wade est notre candidat. Nous avions soutenu sa candidature parce que nous pensions que Me Wade allait se décharger de ses fonctions de secrétaire général national du Pds et que le poste allait être remis en compétition. Mais tout semble indiquer que le candidat désigné à la présidentielle, allait, de fait, être le secrétaire général du parti. Puisque nous sommes de la même génération, je ne pouvais accepter cet état de fait sans réagir. C’est tout le sens qu’il faut donner à la création de notre propre parti. Certains parmi nous pensent, du reste, que nous l’avons fait tard. Je réponds tout simplement que c’était dû à notre grande loyauté à Me Wade et au Pds. C’est une page qui est tournée.

Il est beaucoup question, ces temps-ci, de la probable libération de Karim Wade. Quel est votre avis sur ce dossier ?
Je reste constant sur cette question. Karim Wade doit être libéré sans conditions. Pour moi, il est détenu arbitrairement. Suite aux avis du groupe de travail des Nations Unies et à la Cour de justice de la Cedeao, il doit recouvrer la liberté. J’estime, par ailleurs, que ce dossier a toujours été politique. A problème politique, il faut apporter une solution politique. Il a été politiquement arrêté, cela ne me gênerait nullement qu’il soit libéré politiquement…

Etes-vous partant pour les retrouvailles de la famille libérale ?
Je suis d’accord sur le principe. Mais je me pose des questions sur le contenu et la méthode. Je suis de la famille libérale et je suis pour ses retrouvailles. C’est une position qui n’est pas nouvelle chez moi. Tout comme les socialistes devraient se retrouver, de même que les communistes, de même que les conservateurs. Il nous faut repenser aux quatre grands courants politiques de 1974. Du moment que le message politique est quelque peu illisible, ce retour permettrait aux Sénégalais d’avoir moins de problèmes pour choisir leur camp. Maintenant, les conditions sont-elles réunies ? Je ne le pense pas au regard de ce que je constate sur le terrain. Au contraire, elle se désagrège avec la création de « Ldr-Yessal ». L’idéal aurait été de rebâtir une nouvelle formation politique, son appellation important peu, mais avec les ténors de la famille. On travaillerait alors à avoir une liste unique aux législatives, un seul candidat à la présidentielle, avec le même programme et se passer le témoin à la tête du pays pour cinquante ans comme Me Wade l’avait prophétisé.

Le dialogue national engagé par le président de la République est en marche. Aujourd’hui (Ndlr – jeudi 09 juin), vous avez participé à la rencontre entre les partis politiques et le ministre de l’Intérieur. Qu’attendez-vous de ce processus ?
Notre parti s’inscrit dans le dialogue. Il faut dialoguer pour trouver des consensus forts autour de questions comme la paix en Casamance, il faut dialoguer pour l’Education, pour la Santé, pour l’Agriculture. Il n’y a pas de raisons que la classe politique ne s’entende pas sur ces questions essentielles. Nous n’étions pas présents au palais lors du lancement du processus de dialogue national pour avoir reçu trop tardivement notre invitation, mais nous avons tenu à être présents à cette rencontre avec le ministre de l’Intérieur. Cependant, je tiens à souligner que les manœuvres politiciennes et les compromissions ne m’intéressent pas. Il faut dialoguer sur le processus électoral. Il y a des pays qui sont dans des difficultés, certains qui sont même en guerre à cause d’élections mal organisées. Nous devons tous accepter de discuter du code électoral. Nous devons discuter du mode de scrutin, du nombre de députés, de la qualité de nos bulletins, unique ou pluriel. Il y a des questions importantes comme la rationalisation des partis et leur financement. Les discussions avec le ministre de l’Intérieur se sont bien passées. Trois groupes ont été identifiés : la majorité, l’opposition et les non-alignés. Chaque groupe de parti sera représenté par 10 personnes pour défendre leur position au sein d’une commission dirigée par le président de la Commission électorale nationale autonome. Si l’on ne trouve pas de consensus, on devrait recourir à l’arbitrage du chef de l’Etat ou laisser chaque parti assumer ses responsabilités.

Comment votre parti va-t-il se comporter lors des prochaines législatives ?
Nous allons y participer Inch Allah. Nous pensons y aller sous la bannière d’une coalition électorale. Mais je dois souligner tout de suite que les Ldr-Yessal souhaitent que ses listes soient constituées principalement par leurs militants. Cela veut dire que nous entendons être à la tête de notre coalition. Il ne s’agira pas du tout pour nous d’être un parti que l’on remorque, mais au contraire être la locomotive de la coalition. Nous sommes un grand parti, parmi les plus grands dans ce pays et nous devons assumer notre leadership et diriger cette future coalition.

Mais n’est-ce pas là une prétention démesurée dans la mesure où vous ne connaissez pas encore votre poids électoral ?
Notre parti se massifie. Nous n’avons pas encore fait de tournée nationale, mais nous sommes présents dans les 45 départements du pays. Le parti a des répondants dans l’essentiel des communes. Nous sommes actuellement dans la phase d’impression des cartes de membre que nous allons mettre en vente. Nous avons fini de constituer les fiches de secteur pour identifier nos militants sur l’étendue du territoire national. J’ai été chargé, par l’assemblée générale constitutive, de mettre en place un comité directeur provisoire, de mettre en place une coordination des jeunes, celles des femmes, et enfin, celle des cadres. Je suis aussi chargé de désigner provisoirement, à la tête de chaque commune, un ou plusieurs responsables jusqu’à la vente des cartes. On sait où on va…

Qu’en sera-t-il de la démocratie interne ? On voit des nominations dans les partis comme par décret…
C’est impossible dans notre parti. De l’assemblée générale au premier congrès, il y a des pouvoirs qui ont été conférés au président. Mais ils disparaitront lors du premier congrès qui devra en même temps élire le président. Les concepteurs de notre parti ont déjà expérimenté le manque de démocratie interne dans une formation politique et nous n’allons pas reproduire les mêmes erreurs. C’est la raison pour laquelle nous avons érigé des garde-fous dans les statuts des Ldr-Yessal. Par exemple, c’est le bureau politique qui désigne les membres du comité directeur ; le bureau politique est l’émanation des fédérations à l’échelle du pays. Et c’est encore le bureau politique qui entérine la liste des membres du secrétariat national. Chez nous, le bureau politique sera l’assemblée nationale du parti. Il sera d’ailleurs paritaire. Autant de femmes que d’hommes. On ne peut pas, cependant, dire la même chose du comité directeur ou du secrétariat exécutif national ou nous allons mettre en avant la compétence et les critères de représentation géographique. Nous avons formalisé l’organisation de primaires pour désigner le candidat du parti à la présidentielle à travers une haute autorité composée de 9 personnalités neutres. Nous avons formalisé l’existence de courants de pensée. Il y a un nombre de signatures qui est exigé du porteur de projet de courant au sein du parti pour qu’il soit reconnu. Chez nous, il est possible qu’un responsable porte une motion devant le bureau politique. Il faut des partis modernes.

L’actualité est marquée par la paralysie du système scolaire. Que proposez-vous comme solution de sortie crise ?
Je déplore la situation délétère dans laquelle l’éducation est plongée. J’en appelle à la responsabilité des syndicats et du gouvernement pour trouver une solution à cette crise qui n’a que trop duré. C’est une crise profonde. Il faut sauver nos enfants qui sont les grands perdants dans cette situation injuste. Et si nos enfants perdent, c’est l’avenir du Sénégal qui est remis en question. Nous n’avons pas le droit de sacrifier l’avenir du Sénégal. Je lance un appel au dialogue et au dépassement entre les différents acteurs de l’éducation. Cette année, le bouchon a été poussé très loin, et il est temps que les acteurs se ressaisissent.

Vous êtes président du conseil départemental de Kébémer. Trouvez-vous fondées les critiques négatives émises contre l’Acte 3 de la décentralisation ?
J’ai salué la communalisation intégrale. Je suis de Darou-Mousty et maintenant, j’ai un maire. Je salue aussi la départementalisation. Mais l’acte 3 pose beaucoup de problèmes. L’Etat n’a pas mis les moyens qu’il faut pour accompagner les collectivités locales. Les compétences sont décentralisées, mais les moyens ne le sont pas. Ensuite, le conseil départemental qui n’a pas de territoire, et qui agit sur le territoire de collectivités locales d’égale dignité que lui, rencontre de sérieuses difficultés. Les compétences des uns et des autres ne sont pas clairement définies. Nous savons que pour les écoles primaires, c’est la commune qui est compétente ; pour les lycées, c’est le conseil départemental qui l’est. Mais ça ne suffit pas. Prenez par exemple le cas d’un investisseur qui s’intéresse à l’agriculture, forcément il aura besoin d’un interlocuteur. L’autre problème constaté est le manque de ressources humaines de qualité et l’absence d’une fiscalité propre au conseil départemental. Car si cette fiscalité n’est pas établie, on dépendra intégralement des dotations de l’Etat. Une collectivité locale doit disposer de ressources propres. L’acte 3 doit être revisité. J’ai appris que le Premier ministre s’apprête à convoquer une rencontre d’évaluation de l’acte 3. Il faut aller dans ce sens et renvoyer la loi portant Code général des collectivités locales devant l’Assemblée nationale pour une révision.

Peut-on envisager votre participation éventuelle à un gouvernement en intégrant la majorité présidentielle ?
C’est serait ce que j’appelle de la politique politicienne. Nous sommes concentrés sur la préparation des élections législatives. Nous y allons pour obtenir une majorité et imposer une cohabitation au président de la République. C’est ça l’objectif. Ce qui va se passer après ? Je ne sais pas…

Propos recueillis par Samboudian KAMARA

 Le Soleil

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.