Mame Abdou Aziz Sy Dabakh, homme d’Etat, élu par l’Eternel

Quelle coïncidence en ce 14 septembre 2017 que la commémoration du vingtième anniversaire du rappel à Dieu de Mame Abdou Aziz Sy Dabakh, qui fut khalife général des Tidianes, se déroule le même jour que l’installation de la 13ème Législature issue des élections du 30 juillet dernier !

Si cette coïncidence est à ce point saisissante, c’est essentiellement dû au message que le saint homme adressait aux parlementaires, comme en un rappel à l’ordre, on ne peut plus explicite pour que, de façon intemporelle, ils ne perdent jamais de vue le sens de leur obligation d’élus du Peuple. Le message est si chargé de sens, surtout à l’heure actuelle, qu’il a été à juste raison passé en boucle sur des chaînes de télévision et les ondes de radio. A lui tout seul, il pourrait servir de code de conduite à des élus qui ne sauraient pas pourquoi ils sont à leur poste de représentants du Peuple.

C’est le penseur James Freeman Clarke qui, faisant la distinction entre un homme politique et un homme d’Etat, indique que la différence fondamentale entre un homme politique et un homme d’Etat, c’est que le premier pense à la prochaine élection tandis que le second pense à la prochaine génération.

En rappelant à l’ordre les élus de la République envoyés à l’Assemblée du Peuple et par-delà eux, tous les hommes politiques dont l’action a un impact certain sur la vie quotidienne de leurs concitoyens, et en le faisant par-delà les générations et les Législatures, dans un message laissé à la postérité et appelé à demeurer, Mame Abdou Aziz Sy s’est fait plus homme d’Etat que tous les hommes dits d’Etat qui très souvent ne pensent qu’à la prochaine élection, c’est-à-dire à la façon de se maintenir au pouvoir, et souvent par tous les moyens à leur portée.

Dans notre pays, le malencontreux et sinistre projet de dévolution monarchique qui était vraisemblablement celui de l’ancien président de la République, et aujourd’hui l’obsession d’un second mandat qui amène à toutes sortes d’abus antidémocratiques (la réduction de «l’opposition à sa plus simple expression» par l’embastillement de concurrents jugés les plus sérieux à une réélection du Président, les impairs graves notés dans l’organisation des dernières élections législatives, le référendum indéfinissable que l’on a vu l’année dernière, et tant d’autres calamités politiques) ainsi que la collusion qui n’a jamais cessé entre la fonction de chef de l’Etat et celle de chef du parti au pouvoir sont autant de choses qui nous amènent à nous demander si nous avons de vrais hommes d’Etat, c’est-à-dire des hommes politiques responsables, garants de la démocratie qui les a portés au pouvoir, uniquement mus par les intérêts supérieurs de la Nation et prêts au sacrifice suprême, des serviteurs de l’Etat dignes de ce nom. Hélas, les hommes qui nous dirigent ne sont que trop souvent habitués à se servir de l’Etat et non à le servir.

C’est cela la réalité : ce n’est pas un secret de dire que dans nos pays la politique enrichit ; c’est en étant dans les rouages de l’Etat que les hommes censés servir l’Etat s’enrichissent, et très vite d’ailleurs. Nombre de milliardaires au sein de notre société ne sont-ils souvent pas des entrepreneurs, mais bien des fonctionnaires censés servir l’Etat ?

L’imam de la grande mosquée de Dakar n’interpellait-il pas l’Etat, dans son sermon de la Tabaski, à vérifier la licéité des biens acquis par des fonctionnaires devenus milliardaires ? De plus, les hommes qui allaient être visés dans «la traque des biens mal acquis» n’avaient-ils pas tous eu à gérer des deniers publics ? Sous nos cieux, il est connu, reconnu et même presque normalisé que les hommes s’enrichissent au pouvoir, et que la politique est devenue la voie royale pour arriver à une ascension sociale.

Dès lors, qui est homme d’Etat ? Peut-on parler d’homme d’Etat si celui qui est censé servir l’Etat s’est servi de l’Etat pour s’enrichir, si celui qui est dit homme d’Etat ne doit sa fortune qu’aux différentes stations gouvernementales qu’il a eu à occuper, et que remercié par l’Etat il ne pourrait même pas se prévaloir d’une compétence reconnue, valorisante et génératrice de revenus, à tel point qu’il est obligé de trouver les moyens d’être partie prenante de tout nouveau gouvernement appelé à gérer les ressources du pays ?

On a presque envie de dire que l’on arrête tout bonnement de nous parler d’homme d’Etat. Parce que des hommes d’Etat, on en cherche désespérément. Le titre est abusivement utilisé, galvaudé, souvent immérité. Le fait est que ce n’est pas la longue présence dans les allées du pouvoir, la participation à la gestion du pouvoir par tout nouveau régime, la bonne connaissance des rouages de l’Administration (ce qui peut aussi signifier la connaissance et l’exploitation de ses pesanteurs, de ses tares, de ses circuits de corruption, de ses moyens d’acquisition de prébendes, les voies et moyens de tirer profit de l’Administration, surtout quand elle est dangereusement politisée) qui fait d’un homme un homme d’Etat. Il faut bien se demander ce qu’un homme dit d’Etat a rendu de façon uniquement patriotique, entièrement bénévole, et purement désintéressé à l’Etat, à la Nation, et par conséquent à ses concitoyens.

Dans nos services publics de santé et dans d’autres secteurs de la vie de notre Nation, il y a des bénévoles qui très souvent ne sont motivés que par le refus de l’inactivité, l’espoir d’être un jour recrutés, et sans doute l’amour de la patrie. Avouons-le : ces personnes-là sont infiniment plus dignes que les hommes politiques qui ne doivent leur train de vie et leur fortune qu’à leur longue présence dans les allées du pouvoir et leur stratagème manœuvrier pour prendre part à l’exercice du pouvoir par tout nouveau régime politique qui arrive aux affaires… Sous d’autres cieux, des hommes d’Etat qui ont tout fait sauf s’enrichir au pouvoir ont passé à la postérité des leçons de bonne conduite de la gestion de la chose publique.

Du sacrifice suprême de Abraham Lincoln, le fils de bûcherons, né dans une cabane de rondins, mais qui n’a jamais volé un rond en politique et qui en plus a donné sa vie pour que l’unité de son pays soit sauve, jusqu’à John F. Kennedy dont la formule selon laquelle le citoyen doit «se demander non pas ce que son pays peut faire pour lui, mais ce que lui peut faire pour son pays» a été passée à la postérité et infiniment reprise à travers le monde, bien au-delà se son propre pays.

Entré dans l’histoire depuis plus d’un siècle et demi, Abraham Lincoln (1809-1865) est le sujet de plus de 16 mille (seize mille) ouvrages de toutes dimensions et en tous genres : essais, biographies, articles scientifiques et autres travaux de recherche d’universitaires, articles de vulgarisation, etc. En somme, c’est l’homme politique le plus célèbre dans son pays et le plus célébré par ses compatriotes. Ce n’est pas la fin de l’histoire, mais ses compatriotes savent qu’aucun homme politique ne viendra jamais le détrôner dans le culte patriotique qu’ils lui rendent, au-delà des clivages idéologiques, partisans, régionaux, et identitaires.

C’est cela la vraie richesse d’un homme d’Etat. Les prédicateurs musulmans et les biographes nous enseignent que notre Sauveur, le prophète de l’islam, le Sceau ultime des envoyés de Dieu, le meilleur d’entre nous, celui qui fait vibrer le cœur et l’âme de plus d’un milliard et demi d’êtres humains à travers le monde (de nos contrées les plus éloignées des Lieux-Saints de l’islam jusqu’aux Rohingyas aujourd’hui sauvagement martyrisés par un Etat birman barbare), était lui aussi à la tête d’un Etat structuré et organisé, un Etat qui aussi faisait face à des opposants, mais qui jamais ne se servait des leviers du pouvoir pour les broyer, un Etat scrupuleusement soucieux du bien public, un Etat parfaitement impartial dans l’application de la justice, un Etat dont tout acte était pédagogique. C’était un homme d’Etat, notre Sauveur.

Loin des pratiques de nos Etats et des hommes qui les incarnent. Le drame de notre société, le drame de la vie politique de notre Nation, c’est que c’est en nos hommes politiques que nous retrouvons les pires travers de notre société. Alors même que par leur action, ils ont un impact direct sur la vie quotidienne de leurs concitoyens et sur le destin collectif national, c’est en nos hommes politiques élus comme nommés que nous rencontrons le plus souvent les formes les plus médiocres de la célébrité, l’arrogance et la mégalomanie, la roublardise, l’insulte facile et la calomnie, le non-respect de la parole donnée («wax waxèt»), le laxisme absentéiste, la couardise, la trahison toute honte bue, la fourberie, l’insouciance dans le rapport au bien public (d’une place de parking ou du robinet des toilettes publiques que tout le monde laisse couler jusqu’à la gestion des deniers publics), et tant d’autres abus graves dans la marche de notre société.

La banalisation de ces travers par les hommes politiques a abouti à une décrédibilisation de la fonction politique, et progressivement, nous glissons vers une désacralisation de la figure de l’élu et de l’institution que ce dernier incarne, cela à quelque niveau que ce soit.

Le drame, c’est que quand dans une société on n’écoute plus ceux qui ont une grande gueule et ceux qui font scandale et que ceux-ci et ceux-là voient leurs propos et leurs actes amplifiés, banalisés et surtout impunis, alors même qu’ils devaient être exemplaires, cela devient grave et inquiétant. En se hissant au-dessus des hommes politiques, des hommes dits d’Etat, des partis, des Législatures, des clivages et autres contingences politiques, ainsi que des générations pour transmettre à la postérité un message intemporel que tout élu aurait dû internaliser et incarner avant même de se présenter aux électeurs, Mame Abdou Aziz Sy Dabakh s’est fait homme d’Etat plus que tous les hommes dits d’Etat que nous avons jamais connus. Et en coïncidant avec l’installation de la nouvelle Législature, le message du saint homme perce comme une lueur dans la nuit de l’aveuglement des parlementaires trop souvent habitués à voter de façon moutonnière, mimétique, irresponsable.

C’est précisément en suivant sa recommandation que ceux que l’on appelle les honorables députés donneront un sens au devenir de l’Assemblée du Peuple.


Abou Bakr MOREAU

Maître de Conférences Etudes américaines Flsh,

Ucad, Dakar

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