Lettre ouverte au président Macky sall

Monsieur le président,

Comme beaucoup  de Sénégalais, j’ai été stupéfait de voir le jeudi 8 février dernier à la télévision, les images d’un président Abdou Diouf rendre visite au Khalife Général des mourides à Mbacké Kadjor à bord d’un hélicoptère affrété par les services de la présidence de la république. Je n’ai rien, a priori, contre les facilités accordées et l’honneur que vous fait à un ancien chef de l’Etat du Sénégal pour faire un pèlerinage dans une cité religieuse du pays, renouveler son amitié et recueillir les prières auprès du Saint homme. Je dois rappeler que cette énième faveur fait suite à d’autres que vous avez gratifiées au président Abdou Diouf.

Abdou-Diouf-et-le-Khalife-des-Mourides-1100x615Monsieur le président,

Tout récemment, vous avez déroulé le tapis rouge au président Abdou Diouf en le logeant, aux frais de la princesse, dans les meilleurs palaces de la place, et ce, à chaque fois que ce dernier débarque dans son pays où, tenez-vous bien, il n’a même pas de pied-à-terre, après y avoir été premier ministre pendant 10 ans et président de la République pendant 20 ans. Vous avez même baptisé le centre international de conférences de Diamniadio au nom d’Abdou Diouf. Et pourtant, tout le monde connaît “Keur Senghor” à Fann-Résidence (appelé encore “les dents de la mer” et transformé aujourd’hui en musée). Tout le monde connaît “Keur Ablaye Wade” au Point E. (…) Tout le monde connaît, enfin, “Keur Macky Sall”, votre manoir sis à Fenêtre-Mermoz. Mais, qui a une seule fois entendu parler de “Keur Abdou Diouf” quelque part au Sénégal ? Etre à ce point aux petits soins du président Abdou Diouf et martyriser en même temps le président Abdoulaye Wade, en le chassant de sa propre maison, puis en envoyant son fils Karim Wade en exil au Qatar, il y a là une bonne dose de cruauté et d’ingratitude. Pourtant, toutes proportions gardées, en dehors du Bon Dieu et de vos deux parents, tout ce que vous avez obtenu dans votre vie, vous le devez à Abdoulaye Wade.

Monsieur le président,

Il me revient en mémoire un passage relevé dans une chronique publiée par le journal “Le Témoin Quotidien” dans sa livraison inaugurale sortie en kiosque le lundi 29 septembre 2014, quand la brillante et sémillante journaliste Dié Maty Fall, s’y est évertuée à mettre en évidence “la sagesse des socialistes, Léopold Sédar Senghor et Abdou Diouf, (qui auraient) managé avec brio le Sénégal postindépendance ; ces deux chefs d’Etat constituent, en dépit de leur socialisme, des modèles pour le libéral Macky Sall qui ne cache pas son admiration et son amitié pour le dernier président socialiste, qui serait sa référence d’homme d’Etat et qui le lui rend bien. Le président Sall partage cette inspiration avec d’autres décideurs dans la sous-région et sur la planète, d’un Diouf modèle de gouvernance, de vertu et de sagesse”. La lecture de ce passage m’avait, à l’époque, fait sauter au plafond. Ça ne fait quand même pas longtemps, le 19 mars 2000, quand, ne voulant plus le revoir, même pas en peinture, et nonobstant toutes les vertus que Madame Dié Maty Fall l’a parées dans sa litanie de louanges, les Sénégalais se débarrassaient d’un président Diouf usé par 20 ans de magistrature suprême et qui avait atteint ses limites objectives, en le chassant d’un pouvoir à lui rétrocédé par Senghor via l’article 35. Tout comme Wade a été chassé le 25 mars 2012.

Personne n’a oublié. Les gens ne sont pas amnésiques à ce point, que je sache. Il faut savoir raison garder. Le temps relativement long qui nous sépare du départ du pouvoir par le président Abdou Diouf n’efface pas les mauvais souvenirs de sa gouvernance calamiteuse caractérisée par un kaléidoscope d’évènements douloureux : l’instauration de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei) le 10 juillet 1981, le déclenchement de la rébellion casamançaise le 26 décembre 1982, les pénibles programmes d’ajustement structurel, l’histoire de la baffe magistrale administrée à Djibo Kâ par Moustapha Niasse en 1984, la répression de la marche et l’arrestation des leaders de l’opposition qui manifestaient en cette année 1985 lors d’une marche à Dakar contre le système d’Apartheid en Afrique du Sud alors que Nelson Mandela croupissait encore en prison, la radiation des policiers de 1987, le face à face entre policiers et gendarmes, (…) les fraudes électorales massives avec des bourrages d’urnes, l’état d’urgence doublé de couvre-feu puis l’année blanche qui ont suivi les élections de 1988, l’histoire de la “jeunesse malsaine”, le conflit meurtrier entre le Sénégal et la Mauritanie en 1989, le crash d’avion, le 21 mars 1991, qui a coûté la vie à 92 jambars qui ont payé le plus lourd tribut lors de la Guerre du Golfe, l’année universitaire invalidée en 1994, la démission du juge Kéba Mbaye en 1993, le meurtre du juge Babacar Sèye en 1993, la dévaluation du franc CFA en 1994, le dépôt de bilan de la SOTRAC, la faillite des chemins de fer, l’immobilisme généralisé avec la notion de mobilité urbaine inconnue alors dans le vocabulaire des Sénégalais. Du temps du président Abdou Diouf et du Parti Socialiste, les notions d’autoroutes à péage, de nouvel aéroport, d’opérateurs de téléphonie mobile, d’infrastructures de dernière génération (échangeurs à lunettes, échangeurs annulaires ou giratoires, grands axes routiers à 4 voies et équipées de toboggans ou de tunnels, gares routières ultramodernes genre Les Baux-Maraîchers), de documents biométriques sécurisés (passeports, cartes nationale d’identité, cartes d’électeurs) étaient une vue de l’esprit. Bref, les Sénégalais n’ont pas à avoir une fierté béate de la gouvernance du président Abdou Diouf.

Seulement, ce dernier veut laisser au temps le soin de faire son œuvre, pour panser les blessures que lui, Abdou Diouf, a causées au peuple sénégalais, et se refaire une virginité politique. Ça ne passera pas. Nous pouvons pardonner, mais nous n’oublierons jamais. Pour en revenir aux fameuses déclarations de Dié Maty Fall, l’étranger qui ne connaît pas bien l’histoire de notre pays et qui lirait niaisement le texte de la journaliste, penserait de bonne foi, que le Sénégal, depuis son accession à l’indépendance à nos jours, n’a connu que 3 présidents de la République : Léopold Sédar Senghor, Abdou Diouf et…Macky Sall. En effet, la façon dont elle a présenté les choses (et c’est fait exprès) en sautant directement, du président Abdou Diouf au président Macky Sall, en ignorant ostensiblement le président Abdoulaye Wade, dénote d’une volonté d’omission volontaire affligeante. Voudrait-elle effacer le nom du président Abdoulaye Wade de l’histoire politique ou de l’histoire tout court du Sénégal qu’elle ne s’y prendrait pas autrement ?

Le même procédé visant à ôter la paternité du Musée des civilisations noires au président Abdoulaye Wade qui l’a pensé et conçu est en cours avec toute cette entreprise mackyavélique d’escamoter son nom et son action dans la réalisation de ce monument qui fait partie des “sept merveilles” du “Parc culturel de Dakar” aux côtés du Grand Théâtre national, du Musée des arts contemporains, de l’Ecole d’architecture, de la Bibliothèque nationale, des Archives nationales et de la Place de la musique. “ Soul kerr douko téré fègne ! “ (Ce n’est pas en enterrant l’ombre qu’on va l’empêcher d’être visible). Que Diouf soit défait par Wade, procède du jeu démocratique normal et banal. Wade n’a-t-il pas été à son tour défait par Macky Sall ? Les querelles de clochers ou règlements de comptes ne devraient pas justifier une tentative de falsification de l’histoire ni pousser quiconque à se départir de son devoir d’être juste et honnête, mais aussi de livrer une information complète, non tronquée, ni partiale. Et puis, c’est même hilarant de désigner le président Abdou Diouf comme le modèle de Macky Sall. Car, il est de notoriété publique, et on ne se lassera jamais de le répéter, Macky Sall est “un produit” voire “une création politique” de Abdoulaye Wade, son mentor, qui l’a politiquement façonné et fabriqué de toutes pièces et à qui il doit presque tout, et notamment son riche parcours à travers les plus hautes sphères de l’Etat qui a culminé à la station présidentielle. Les contingences politiques qui sont survenues par la suite entre les deux hommes et qui les ont éloignés l’un de l’autre, ne devraient alors pas pousser certains à travestir la vérité, à créer, inventer ou trouver un autre modèle ou “père” à Macky Sall.

Abdou et MackyMonsieur le président,

Bon nombre de Sénégalais ont salué les visites que vous, le libéral, avez eu à faire au président Abdou Diouf à la résidence Pasteur, où vous l’hébergez de temps à autre. Mais, vous auriez fait mieux de commencer par entreprendre la même démarche en direction de votre ex-mentor, le président Abdoulaye Wade, à qui vous devez tout en politique, contrairement au socialiste Abdou Diouf à qui vous n’êtes redevable de rien. Qu’il soit à Fann-Résidence ou à Versailles, le président Abdoulaye Wade n’a jamais eu l’honneur de vous recevoir en visite. Ne serait-ce que pour sacrifier au devoir du disciple de donner le “alarba” à son maître. Et cela fait vraiment désordre. Décidément, l’adage selon lequel “Tous ceux qui se ressemblent s’assemblent” est on ne peut plus vrai. En effet, auteur d’un grand parricide sur son “père” Léopold Sédar Senghor, le président Abdou Diouf semble vous avoir contaminé en vous refilant le virus du parricide pour que, à votre tour, vous liquidiez votre “père” Abdoulaye Wade. Avec la “desenghorisation”, le président Abdou Diouf a fait vivre l’enfer au Président Senghor après le départ de ce dernier du pouvoir. Comme le disait Théodore Adrien Sarr, ancien archevêque de Dakar : “Senghor a fait son chemin de croix avec Abdou Diouf”. Tout le monde a été même estomaqué de constater, pour le déplorer, l’absence du président Abdou Diouf à la cérémonie d’intronisation de Senghor, sous la Coupole où, élu parmi les “immortels”à l’Académie française le 2 juin 1983, pour occuper le fauteuil n°16 du duc de Levi-Mirepoix, il aurait été ravi de constater la présence du président Abdou Diouf à cette cérémonie d’intronisation. Pas étonnant alors que le président Abdou Diouf n’ait pas été plus impliqué dans les obsèques de Senghor, le 29 décembre 2001 à Dakar, alors qu’il aurait été dans le cœur du dispositif (…).

Maintenant, si vous pensez qu’en couvrant de cadeaux et d’éloges le président Abdou Diouf et, au même moment, en snobant ou en essayant d’humilier le président Abdoulaye Wade, vous en tirerez un avantage quelconque, sachez que les Sénégalais sont horripilés par votre geste. Et le temps n’est pas encore loin où ils vous le démontreront en sanctionnant fermement et à juste valeur ce manque de reconnaissance qui ne vous honore point. “J’ai des comptes personnels à solder contre le Pds” auriez-vous dit au moment d’accéder au pouvoir. Wade et Macky

Après l’épisode de la traque des biens supposés mal acquis et tout le martyre que Me Abdoulaye Wade et ses familles biologique et politique ont souffert, on a l’impression que votre soif de vengeance est inextinguible. Ne savez-vous pas que le pardon grandit son auteur aux yeux du pardonné et du Seigneur ? Le président Abdou Diouf, lui-même, a-t-il enduré les mêmes épreuves de la part de son successeur ? Au contraire, après avoir rendu une visite de courtoisie à Adja Coumba Dème, qui fut la mère du président Abdou Diouf, le président Abdoulaye Wade a mis l’avion de commandement à la disposition de son prédécesseur afin que ce dernier puisse aller le représenter au Sommet Europe-Afrique qui devait se tenir les 3 et 4 avril 2000 au Caire, avant de parrainer, plus tard et avec succès, la candidature du président Abdou Diouf au poste de Secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie. Pourtant, le président Abdoulaye Wade avait pas mal de raison d’enquiquiner le président Abdou Diouf dont le magistère était éclaboussé par des scandales de toutes sortes. Au surplus, le Président Wade, après avoir été élu président de la République, n’a pas accusé le Président Diouf d’avoir volé les moquettes et bibelots du Palais présidentiel comme Macky Sall l’a fait pour son successeur.

Au plan personnel, le président Abdoulaye Wade pouvait en vouloir au président Abdou Diouf qui le faisait arrêter et jeter en prison quand ça lui chantait, même au soir d’un scrutin électoral, avant même la proclamation des résultats. Il convient aussi de relever qu’après avoir laissé entendre, au lendemain de son départ du pouvoir, qu’il ne se prononcerait plus en matière de politique intérieure sénégalaise pour ne pas gêner son successeur, le président Abdou Diouf a violé son propre serment en déclarant “trouver chez le président Macky Sall une vision qui rassure” . L’allusion est trop claire pour laisser une équivoque. Par la suite, comme le dit avec une rare pertinence Me El Hadji Amadou Sall du PDS, “l’œuvre de Senghor a été totalement vendangée, et le taiseux Abdou Diouf, devenu subitement bavard, pourrait se retrouver avec Ousmane Tanor Dieng, son successeur, au directoire de l’Apr”. (…)

PAPE SAMB Nb : Certaines parties du texte ont été élaguées par la Rédaction

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