Georges Soros l’Africain : enquête sur les réseaux du milliardaire américain

Philanthrope, homme d’affaires, lobbyiste… Georges Soros, milliardaire américain, admiré par certains, vilipendé par d’autres, est omniprésent sur le continent. Qui est vraiment l’homme qui a tissé l’un des réseaux les plus puissants de la planète ?

Un opposant équato-guinéen, un homme d’affaires sulfureux d’origine libanaise, un avocat français réputé et un milliardaire américain, tous alliés dans le but de déstabiliser un régime africain : le scénario déroulé ce 27 juin par l’ancien mercenaire britannique Simon Mann devant les juges ébahis de la 32e chambre correctionnelle de Paris est digne des plus grandes intrigues hollywoodiennes.

« En 2011, j’ai prévenu le président Obiang que Severo Moto, Ely Calil, William Bourdon et George Soros envisageaient de déstabiliser la Guinée équatoriale », lance ce personnage tout droit sorti d’un SAS de Gérard de Villiers. La « bombe » a eu l’effet escompté par la défense : les frasques du vice-­président de Guinée équatoriale, Teodoro Nguema Obiang Mangue, jugé notamment pour blanchiment et recel de fonds publics dans le premier procès dit des biens mal acquis (BMA), ont cédé la place à la thèse d’un complot ourdi par des puissances étrangères – et dont, bien sûr, Teodorín serait une victime collatérale.

Soros, l’homme de la situation

George Soros, à la tête d’une fortune estimée par le magazine américain Forbes à 25 milliards de dollars (22 milliards d’euros), ne devrait pas s’émouvoir outre mesure d’avoir été ainsi jeté en pâture.

À 86 ans, ce natif de Budapest, en Hongrie, en a vu d’autres et est toujours admiré par des générations de spéculateurs pour l’un de ses principaux faits d’armes : avoir fait « sauter » la Banque d’Angleterre en 1992 en misant contre la livre sterling, empochant 1 milliard de dollars en une nuit et forçant Londres à dévaluer.

Un parcours remarquable

Les rumeurs les plus folles qui circulent à son sujet sont donc à la hauteur de ce personnage, qui aime à cultiver le secret. Philanthrope avec l’Open Society Foundations (OSF), businessman à travers le Soros Fund Management (20 % de rentabilité en moyenne par an), lobbyiste adossé à l’un des réseaux les plus puissants de la planète… Qui est vraiment George Soros, né György Schwartz en 1930 ?

Homme complexe aux multiples facettes, il fait l’objet de vives critiques – dont il n’a apparemment cure –, depuis sa Hongrie natale, où le président Viktor Orbán l’a récemment vilipendé (alors qu’il a lui même bénéficié d’une bourse Soros), jusqu’aux États-Unis, sa terre d’adoption depuis 1956 et où ses relations avec Donald Trump sont exécrables, en passant par Israël, où les nationalistes les plus radicaux l’accusent d’antisémitisme – un comble pour ce Juif ashkénaze qui a subi le nazisme.

Une vidéo largement diffusée sur la Toile depuis mars par le Français d’origine béninoise Kemi Seba est symptomatique du « Soros bashing » ambiant : pêle-mêle, durant treize minutes et sans apporter l’ombre d’une preuve, le polémiste « afrocentriste » habitué des plateaux sénégalais lie le milliardaire aux Printemps arabes, à l’assassinat de Kadhafi, mais aussi aux mouvements citoyens comme Y’en a marre.

Motivé à la fois par la réussite financière et par la lutte contre les régimes autoritaires, il se dit «guidé par le bien public»

Soros VS Wade

Figure de proue des manifestations qui ont émaillé la présidentielle sénégalaise de 2012 (Abdoulaye Wade briguait un troisième mandat dont la légalité était très contestée), Y’en a marre avait défrayé la chronique trois ans plus tard à cause d’une photo sur laquelle George Soros, entouré de militants, apparaissait vêtu d’un tee-shirt du collectif.

Polémique née l’année où le mouvement citoyen recevait son premier financement de l’Open Society Initiative for West Africa (Osiwa, branche ouest-africaine de l’OSF).

Beaucoup y ont vu les preuves de l’implication de Soros dans l’éviction d’Abdoulaye Wade. Sauf que le scénario ne tient pas face à la chronologie des faits, la visite de Soros à Dakar remontant en réalité à 2013, bien après l’élection présidentielle et la création du mouvement, et bien avant la subvention de l’Osiwa. Un non-événement, donc, si l’anecdote n’avait pas été manipulée.

Le cas sénégalais n’est pas une exception, et pour cause. Disposant d’une fortune colossale qu’il redistribue depuis quatre décennies (il a dépensé à ce jour 12 milliards de dollars dans des activités philanthropiques), il est partout, notamment en Afrique, où le fonds Leapfrog Investment, dont il est l’un des principaux actionnaires, entend notamment investir quelque 800 millions de dollars dans les prochaines années, en particulier dans la banque et les assurances.

Soros et l’Afrique, une histoire qui dure

Les liens de Soros avec le continent remontent à 1979, année de la création de sa fondation Open Society Institute (qui deviendra en 2010 l’OSF) et de l’octroi de bourses aux étudiants noirs de l’Université du Cap alors que sévit l’apartheid.

Traumatisé par le nazisme et la dictature communiste, Soros a très tôt mis ses moyens au service de la lutte contre les régimes autoritaires, en Europe de l’Est comme ailleurs dans le monde. Parfaitement rodée, la méthode allie bourses universitaires, développement de médias libres, appuis logistiques à l’opposition, rapports sur les Droits de l’homme via des ONG qu’il finance…

Dès le début des années 1980, il tisse des liens avec des élites africaines, qui n’hésiteront pas à le solliciter pour leur carrière politique. C’est le cas de la présidente libérienne Ellen Johnson-Sirleaf. Cette proche faisait partie des 500 invités au troisième mariage du milliardaire, avec Tamiko Bolton, de quarante et un ans sa cadette, le 20 septembre 2013 dans sa vaste propriété de Bedford.

Johnson-Sirleaf a connu Soros lorsqu’elle était en exil aux États-Unis et occupait le poste d’économiste à la Banque mondiale. Près de vingt ans plus tard, en 2001, elle est la première responsable d’Osiwa. En 2005, alors farouche opposante au dictateur Charles Taylor – emprisonné à la Cour pénale internationale (CPI, créée avec le soutien de Soros) –, elle contribue à la création de la West Africa Democracy Radio (WADR), financée par l’Osiwa et basée à Dakar. L’année suivante, elle est élue présidente du Liberia.

Des liens avec ADO

Le lancement de la WADR est appuyé par un autre opposant, l’Ivoirien Alassane Dramane Ouattara (ADO). Le tombeur, en 2011, de Laurent Gbagbo (lui aussi jugé par la CPI) ne se considère pas comme un intime du milliardaire, mais les deux hommes se rencontrent régulièrement en marge des sommets internationaux, comme à New York en septembre 2014, à l’occasion de l’Assemblée générale de l’ONU.

Leurs liens prennent racine en 1999, lorsque ADO est directeur général adjoint du FMI, où il a également connu Jeffrey Sachs, un ami de Soros. Sachs tient une place centrale dans le dispositif Soros, tout comme l’ancienne secrétaire d’État américaine Madeleine Albright et l’ancien Premier ministre britannique Tony Blair.

Il est intervenu auprès de nombreux gouvernements africains, dont ceux du Nigeria et du Ghana. Jeffrey Sachs a également fourni ses services pour le compte de Soros à São Tomé-et-Príncipe. En 2004, alors que les spéculations vont bon train sur les potentielles réserves d’hydrocarbures au large de ce petit archipel de 300 000 âmes, le président Fradique de Menezes fait appel aux bons offices du milliardaire.

Il lui dit vouloir établir un cadre législatif pour gérer au mieux les futurs revenus pétroliers. Alors directeur de l’Institut de la Terre à l’université Columbia, Sachs débarque avec une armée de conseillers pour plancher sur ce projet. Mais, selon un proche témoin de l’époque, « Sachs s’est vite rendu compte que, derrière, la volonté politique n’existait pas. Le président Fradique de Menezes était surtout préoccupé par sa proximité avec Soros ».

En plein apartheid il octroie des bourses aux étudiants noirs de l’université du Cap.

Milliardaire et industrielle

Les ressources naturelles sont depuis longtemps une préoccupation du spéculateur. Il est notamment à l’origine de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (Itie), signée à ce jour par 52 pays dont 25 africains.

Sur ce terrain, deux affaires illustrent son implication. En 2013, l’ONG Oxfam (financée par l’OSF) et le Réseau des organisations pour la transparence et l’analyse budgétaire (Rotab, financée par l’Osiwa), tous deux membres de la coalition Publish What You Pay (également financée par Soros), présentent « Areva au Niger : à qui profite l’uranium ? », un rapport qui fait grand bruit. Doit-on y voir la main directe de l’Américain ? Si oui, dans quel dessein ?

Pour Ali Idrissa, coordinateur national du Rotab, « la question ne se pose même pas ! ». Il précise : « L’Osiwa fait des appels à propositions, nous y répondons. À aucun moment on ne nous a demandé d’écrire un quelconque rapport. »

En Guinée, l’affaire du mont Simandou, l’une des plus importantes réserves de fer au monde, révèle cependant des méthodes moins orthodoxes (comme nous le révélons dans cet article : Bras de fer de titans entre Soros et Steinmetz autour d’une mine géante en Guinée).

Ami de George Soros depuis au moins 2010 – les deux hommes s’appellent de temps en temps –, le président Alpha Condé s’est appuyé sur le milliardaire pour faire le ménage dans le secteur minier à son arrivée au palais de Sékoutoureya. Soros dépêche alors à Conakry, en 2011, le cabinet d’avocats DLA Piper, dont fait partie son ami de trente ans Scott Horton.

Le Franco-Israélien Beny Steinmetz s’en souviendra longtemps : alors qu’il était le principal actionnaire de la mine à travers BSGR, des soupçons de corruption révélés durant l’enquête de Horton l’écarteront définitivement du pays.

L’histoire serait banale si elle n’avait pas un relent de revanche personnelle. Soros et Steinmetz s’étaient en effet déjà affrontés en 1998 en Russie lors d’un appel d’offres. Le second l’avait emporté sur le premier dans des conditions pour le moins opaques. Depuis, Soros et Steinmetz se détestent cordialement.

Les ressources africaines : Le pactole de Soros

Les mines africaines ont également fourni à Soros l’occasion de réaliser un autre de ses plus beaux coups financiers. Au début de 2016, il achète 19,41 millions d’actions du minier Barrick Gold (notamment présent au Mali, au Burkina, au Kenya et en Tanzanie à travers sa filiale Acacia Mining), puis en revend 94 % alors que l’action a grimpé de 191,46 %.

Il effectue une plus-value nette de 127 millions de dollars en… quatre-vingt-dix jours. Alors qu’Acacia Mining est interdit d’exportation en Tanzanie, accusé par les autorités de sous-déclarer ses quantités d’or produites.

Il lutte contre les régimes autoritaire

Chez Soros, le business ne s’embarrasse pas d’éthique. « Le personnage a, il est vrai, un côté schizophrène », admet Vincent Barbé, coauteur des Réseaux Soros à la conquête de l’Afrique. « Mais ce qu’il faut aussi comprendre, c’est qu’il est capable de rappeler à l’ordre certaines de ses connaissances si leurs actions ne vont plus dans le sens de ses objectifs », poursuit-il.

Ellen Johnson-Sirleaf elle-même en a fait les frais. En 2015, Global Witness, ONG soutenue par l’OSF et dont Alexander, l’un des fils du milliardaire, est un des administrateurs, publie un rapport soupçonnant la firme Golden Veroleum, spécialisée dans l’huile de palme, d’avoir corrompu les autorités pour obtenir des terres en pleine crise Ebola. La Libérienne s’est fait publiquement sermonner par Alexander.

Autre chef d’État ayant connu un revirement « sorosien », le Sud-Africain Thabo Mbeki. Arrivé au pouvoir en 1999, le successeur de Nelson Mandela intègre Soros à un conseil économique aux côtés d’autres hommes d’affaires internationaux, pensant pouvoir compter sur le soutien inconditionnel de son ami américain. Mais, dès décembre 2000, le milliardaire accuse Mbeki d’aider Robert Mugabe à rester au pouvoir, alors qu’il rend ce dernier responsable du climat délétère entretenu dans la région, qui rend peu propice le développement des affaires.

Celui qui se dit « guidé par le bien public » est ainsi motivé à la fois par la réussite financière et par la lutte contre les régimes autoritaires, obstacles selon lui au développement humain. De là à le soupçonner d’utiliser tous les moyens dont il dispose pour provoquer des alternances à son profit, il n’y a qu’un pas que l’ancien mercenaire Simon Mann n’a pas hésité à franchir.

  • Jeune Afrique
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